La réalité virtuelle et la réalité augmentée sont deux technologies vectrices d’expériences immersives inégalées. Cependant, il ne faut pas oublier la dimension légale avant de créer un contenu. Maître Catherine Chabert, avocat au barreau de Lyon spécialisée dans le droit des nouvelles technologies énumère et explique les différentes composantes du Droit à prendre en compte dans la production de contenus VR et AR.
À l’instar du cinéma, de la télévision et du jeu vidéo, la Réalité virtuelle et la Réalité augmentée font appel à des règles de droit transverses. La VR et la AR nous renvoient aux règles existantes et nous conduisent à nous détourner du côté fantasmatique du vide juridique. Comme les technologies précédentes liées au multimédia, la VR et la AR nous amènent à rappeler la nécessité et la force obligatoire du contrat.
Un Droit transverse
Dire que cette matière plutôt qu’une autre fait appel à une multitude de règles de Droit est d’une banalité à pleurer. En effet, quel domaine du Droit fait exception à cette règle, sachant que le métier même de juriste est de rechercher dans sa « boîte à outils » quelle règle appliquer à telle situation : c’est ce que l’on appelle la qualification juridique.
Dès lors, la question à se poser est la suivante : quelles problématiques juridiques retrouve-t-on dans la mise en œuvre de la réalité virtuelle ? La réalité virtuelle réunit et intègre des composants multiples. C’est un œuvre multimédia. Que cela signifie-t- il d’un point de vue juridique ?
Avant de tenter de plaquer des règles de droit sur cette nouvelle technologie, il faut en passer par une définition. Une définition officielle est proposée par le Journal officiel n° 93 du 20 Avril 2007 portant sur le vocabulaire de l’informatique (Loi Bas-Oriol abrogée et remplacée par la Loi Toubon du 4 Août 1994 sur l’emploi de la langue française mise en application par un Décret relatif à l’enrichissement de la langue française) qui arrête la terminologie à employer dans le domaine des NTIC (infogérance plutôt que facilities management).
Cette loi ouvre la possibilité de promouvoir par Décret « les termes et expressions publiés au JO à utiliser à la place des termes équivalent en langues étrangères ».
Définir le concept de réalité virtuelle
Réalité virtuelle ou réalité de synthèse : Il s’agit d’un environnement créé à l’aide d’un ordinateur et donnant à l’utilisateur la sensation d’être immergé dans un univers artificiel. Pour la réalité augmentée, il n’existe pas de définition officielle, mais on peut proposer la définition ci-dessous :
Réalité augmentée : Environnement créé à partir de l’environnement réel (capté par des moyens divers : photo ou vidéo) en vue de le transformer et/ou d’en modifier la perception par l’utilisateur par superposition d’images de synthèse (visiter Pompéi reconstitué).
Les 2 clés de reconnaissance de la réalité virtuelle sont l’immersion (casques de VR) et le caractère interactif.
Les applications sont nombreuses : modélisation 3D, attraction, expérience artistique, aide au handicap, programme de formations, etc. Autant de domaines qui réclament de se pencher sur la législation applicable lors de la création et la diffusion d’un contenu en RV.
La législation applicable
Le droit relatif à la captation ou à la collecte
Le Droit à l’image : L’article 9 du Code Civil ainsi que le droit des marques reçoivent application dans la mesure où une caméra 360 ° suit tout ce qu’elle voit autour d’elle.
Les environnements captés : (monuments- œuvres d’art – marques, logos, enseignes)
Ils sont captés et vont donc figurer sur l’enregistrement. En tous cas, si le bâtiment n’est pas dans le domaine public, il faudra demander l’autorisation à l’architecte voire dans une moindre mesure au propriétaire si cela est susceptible de lui causer un trouble de jouissance anormal ou de le priver de l’avantage qu’il pourrait retirer de l’image de son bien, à l’instar d’un Domaine viticole.
Prenons un autre exemple : sur un tarmac, difficile d’éliminer ce que l’on ne veut pas voir, difficile aussi de montrer des avions d’une compagnie concurrente de celle de son client. Dans ce cas, il convient d’éliminer les éléments non souhaités ou de les neutraliser grâce à des techniques (flouter/prolonger l’image ou rajouter un fond). Pour l’heure, il n’y a pas de zoom sur ce type de caméras qui ne possèdent pas de profondeur de champ. Au-delà de 20 à 50 ont ne voit pas.
Malgré tout, il conviendra d’apporter plus d’attention au dérushage. Le travail de post production va être plus important.
Les dérives de cette pratique
Si masquer les éléments non souhaités est une pratique légalement reconnue, attention aux dérives. L’AR squatting consiste à superposer l’image d’une marque d’un concurrent et/ou à remplacer une marque par une autre parfois à des fins plus ou moins acceptables. Les motivations contestataires ou militantes font partie des risques identifiés (Ex : application iPhone the leak in your home town permettant de remplacer le Sigle BP par un sigle « fuyant » pour dénoncer la pollution générée par BP).
Ne pas oublier le droit à l’image
Le Droit à l’image (Art 9 du Code Civil) doit être pris en compte. On différencie souvent lieu privé et lieu public, mais une atteinte à la vie privée peut être constituée même dans un lieu public (C.Cass 16 Mai 2012). Tout dépend du contexte. Le caractère public du lieu peut avoir un impact si on individualise un sujet. En revanche en cas de diffusion d’un groupe de passants dans la rue, il n’est pas nécessaire de solliciter leur consentement.
Si les individus ont été informés au préalable qu’ils peuvent être filmés et que les images peuvent être diffusées, si des commentaires sont associés, si l’individu a pris la pose, marquant ainsi tacitement son approbation, si la photo est utilisée à des fins commerciales ou publicitaires, le contexte sera différent et les tribunaux apprécieront différemment les contours de l’autorisation à demander. Dans certains cas, seront mis en balance droit à la vie privée et droit à l’information.
Les données à caractère personnel (DCP)
Les principes
Les 5 principes issus de la législation sur la protection des DCP à prendre en compte sont :
- finalité
- pertinence,
- durée de conservation,
- droits de la personne concernée,
- sécurité des données.
Une image numérique montrant clairement le visage d’une personne peut constituer une donnée à caractère personnel. L’importance des CGU de l’éditeur qui encadrent le traitement de ses données à caractère personnel est par conséquent primordiale. En matière de réalité augmentée, le contrôle est moins évident. Les applications de AR fonctionnent pour certaines sur le croisement des données collectées par les applications et l’agrégation de ces données.
- la reconnaissance faciale : Name tag,
- la géolocalisation générant une publicité ciblée.
Le principe repose sur l’information préalable et le consentement de la personne concernée.
Le Droit relatif à la création
Le droit relatif au logiciel et notamment les dispositions applicables au droit d’auteur sont applicables. Le droit des bases de données (droit du producteur de la base de données – droit sui generis né en 1998 de la prise de conscience de la valeur économique des BDD) a également vocation à recevoir application.
Le brevet pourrait également être utilisé si les conditions de nouveauté, d’activité inventive et d’application industrielle sont réunies, ce qui est plus rare. La protection de l’univers de l’AR et de la VR, œuvre multimédia par nature intégrant du code, de l’image créée par l’éditeur ou intégrée par lui, des musiques, des vidéos, etc. doit être recherchée au sein de sources multiples.
Le Droit d’auteur :
On peut confronter le Droit d’auteur au Copyright américain. Il n’y a pas de dépôt obligatoire en France et les droits moraux sont plus importants même si l’évolution aux US tend à aller dans le sens de l’Europe. La notion d’œuvre multimédia n’est pas reconnue en France à la différence des US. L’application du droit d’auteur renvoie au monopole de l’auteur et à la contrefaçon.
Les œuvres créées dans la VR
Peuvent-elles avoir le statut d’œuvres protégeables par le droit d’auteur ? La création dans le monde virtuel d’œuvres protégées pose la question de l’originalité : dans quelle mesure une œuvre créée dans le jeu vidéo « second life » serait originale puisque le code contenu dans ce jeu, lequel permet la création, ne permet a priori pas à l’auteur de laisser sur l’œuvre l’empreinte de sa personnalité ?
Cette question est résolue au regard des droits d’auteur d’ores et déjà reconnus, depuis longtemps à des œuvres crées grâce à des logiciels. Le droit commun s’applique : en droit français si l’œuvre remplit la condition d’originalité, elle sera protégée par le droit d’auteur.
Se pose alors la question de la propriété de l’œuvre et de la possibilité de l’exploiter ? Cette œuvre sera-t-elle considérée comme une œuvre collective ?
L’utilisation dans la VR d’éléments protégés par un droit de PI
La persistance de droits existants implique de solliciter l’autorisation de l’auteur pour intégrer et utiliser une œuvre antérieure dans une VR ou une AR ! Quand les utilisateurs de VR importent des œuvres, des musiques, images ou marques dans leur monde virtuel, les lois applicables dans le monde réel s’appliquent ; ce qui inclut le fait de demander l’autorisation et d’obtenir les droits.
Ex : virtualisation d’un musée
Pour caractériser la contrefaçon, le droit d’auteur n’exige pas la condition d’usage commercial dans la vie des affaires (contrairement au droit des marques). Le seul usage constitue une contrefaçon (sous réserve du fair use et des exceptions). Le régime juridique est important, mais le contrat de réalisation l’est tout autant. Les CGU des plateformes règlent bien souvent la question : l’utilisateur est le propriétaire de tout son contenu, mais consent une licence à l’éditeur. Lorsqu’il s’agit d’un jeu, les CGU encadrent la réutilisation de l’œuvre ou la cession de celle-ci à un autre joueur.
Le droit relatif à l’utilisation
Certaines implications juridiques sont immédiatement perceptibles, voire évidentes. Les règles de la responsabilité civile, voire pénale, peuvent être mises en jeu comme lors de l’incident causé par un chasseur de Pokémon go entré sans autorisation sur une propriété privée. Certaines collectivités ont d’ailleurs pris des arrêtés. Le dépôt d’un projet de loi a été envisagé en temps visant à infliger à l’éditeur NIANTIC une amende de 100 $ chaque fois que le pokestop ne serait pas retiré à la demande du propriétaire des lieux.
D’autres problématiques juridiques sont moins évidentes. On peut s’interroger sur la loi applicable dans un environnement virtuel. Elle est a priori définie dans les CGU, mais on peut imaginer que les règles applicables en matière de protection du Consommateur pourraient jouer ainsi que les règles du droit international. En outre ce sont souvent des services fournis via le réseau Internet qui connait une législation différente selon la matière concernée.
Ainsi pour le Droit d’auteur, c’est la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, du 9 septembre 1886, qui détermine la loi applicable en cas de litige transfrontière. Ce traité international est appliqué dans la quasi-totalité des États dans le monde.
L’article 5 de la Convention dispose que « l’étendue de la protection ainsi que les moyens de recours garantis à l’auteur pour sauvegarder ses droits se règlent exclusivement à partir de la loi du pays où la protection est réclamée ». Des écluses peuvent exister entre le monde virtuel et le monde réel notamment dans les jeux :
- Des environnements persistants, mais impermanents (qui continuent à évoluer grâce aux autres acteurs pendant que le joueur ne joue plus),
- Une monnaie virtuelle échangeable contre des monnaies réelles,
- Des biens à vendre en devises du monde réel (complexe immobilier 350 K€ / étalon céleste 25 $ …),
- Des avatars (incarnation du typist et interaction avec ce dernier) qui permettent de modéliser en 3D un environnement et une situation (enseignement de la plaidoirie) et de créer un sentiment d’appartenance, une communauté d’intérêts,
- Des litiges pouvant donner lieu à des préjudices importants et à des condamnations qui bien qu’encore peu nombreuses, viennent sanctionner les agissements des propriétaires d’avatars (racket – violence – vol – délits bancaire – détournements de fonds) avant une évolution drastique des CGU éditeurs.
La dimension éthique
Il est nécessaire de prévenir l’utilisateur que le fait d’être immergé dans un monde de VR peut provoquer des migraines, des nausées, le faire se blesser ou chuter.
10 fois plus puissant qu’une vidéo classique, l’utilisation d’une caméra 360° offre à l’utilisateur une immersion complète. Hormis l’image, le message diffusé peut également créer un traumatisme important. Il convient dès lors de prévenir l’utilisateur de la violence du contenu et de l’impact émotionnel que cela peut déclencher chez lui à l’aide de messages préventifs à diffuser avant visualisation.
A l’inverse, quelqu’un qui voyage dans l’espace au travers d’une application de VR peut tellement lâcher prise qu’il peut lui être difficile de revenir dans le monde réel au point de le trouver trop dur et de faire une dépression.
Quoi qu’il en soit, il conviendra de prendre en compte VR et AR dans l’avenir. Ces nouveaux médias de communication vont pénétrer de nombreux marchés en ce compris le cinéma. Au dernier Festival de Cannes (le 70eme), figurait parmi les thématiques du futur, le sujet de l’intégration de séquences de VR ou de AR dans le Cinéma. Ce dernier était en bonne place parmi les conférences données sur le pavillon NEXT (où sont abordées les thématiques du futur).
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