Les réalisateurs commencent à voir en la RV un tournant majeur. Mais avant que celle-ci devienne une seconde nature pour eux, des défis restent à surmonter.
Une expérience inédite
La réalité virtuelle est une opportunité pour tous les adeptes de nouveaux supports et ses applications ne sont plus à remettre en cause : le jeu, le marketing, l’éducatif et même la santé. Pour les cinéastes, elle pourrait être le nouveau tournant à ne surtout pas manquer. En témoigne l’attrait qu’elle a suscité lors du dernier Comic Con international, festival multigenre de cinéma qui a lieu chaque année à San Diego en Californie. Les organisateurs ont notamment mis à l’honneur la réalité virtuelle en proposant plusieurs animations faisant intervenir la réalité virtuelle. Et les professionnelles du cinéma ne sont pas les derniers à y voir un futur atout de l’industrie du cinéma.
Plusieurs cinéastes s’y sont essayés.
“C’est une expérience inédite et nous n’en avons pas si souvent”, explique Michael Light, fondateur et directeur de la société Emblamatic Group, présent au festival Comic Con.
La démo d’un film appelé « TheBlu : Encounter », est une démo 2 minutes que les spectateurs ont pu découvrir cette année. Elle permet de se rendre compte du potentiel de la réalité virtuelle. Elle met en scène le voyage d’un navire sous-marin dans les profondeurs de l’océan. Les spectateurs étaient amenés à enfiler un casque HTC Vive afin de visionner le film depuis leur siège.
La réalité virtuelle est source d’expérience visuelle et pour les réalisateurs c’est une aubaine. Mais aujourd’hui, les défis sont à la mesure des bénéfices qu’ils pourraient en retirer.
Le scénario de films de réalité virtuelle
Pourquoi la réalité virtuelle peut elle-t-elle faire peur au cinéaste ?
“La réalité virtuelle est très intimidante pour un scénariste” explique Craig Gilbert, cofondateur de TotalCinema 360, une société de production de vidéo en réalité virtuelle. “Mais je pense que cela peut aussi être très libérateur” ajoute-t-il.
« Nous devons changer entièrement le langage du cinéma », explique Danfund Dennis, directeur de la société de production Condition One, qui a réalisé le premier documentaire en 3D à 360° de 20-30 minutes, intitulé Zero Point. « Le cadre n’existe plus, nous avons à apprendre de la culture des jeux. L’objectif reste le même, encore que… vous mettre dans la peau de quelqu’un pour vous aider à mieux les comprendre. »
La réalité virtuelle est donc tout d’abord un défi à relever pour les scénaristes du film, car ces derniers auront à prendre en compte dans l’écriture de la scène, l’ensemble des éléments du lieu, y compris ceux en dehors de la scène proprement dite comme l’explique encore Craig Gilbert :
« Il faut prendre en compte la vue périphérique des spectateurs et ce qui se trouve derrière eux ou au-dessus, ce sont des choses auxquelles on ne pense pas tout de suite dans l’écriture du film, et il faudra le faire désormais.”
Pour Cliff Plumer, président de Jaunt Studios, le scénariste doit se poser la question suivante :
« Comment puis-je tirer avantage d’un environnement à 360°, dans lequel des choses peuvent se passer autour de moi, autour de la caméra, y compris en tenant compte du son ? »
Mais il faut croire que le jeu en vaut la chandelle. Plusieurs grosses sociétés ont déjà misés sur la réalité virtuelle telles que Samsung, Nokia, Google et Go Pro. OculusVR, a même créé une branche de sa société appelée Oculus Story Studio. Elle sera chargée de produire des films en réalité virtuelle.
Le tournage et la réalité virtuelle
Autre défi pour les cinéastes qui souhaitent se tourner vers la réalité virtuelle : le tournage à l’aide d’une caméra à 360° implique de faire disparaître l’ensemble de l’équipe du tournage du champ de la caméra.
“C’est comme jouer à un jeu de cache-cache” explique Jessica Brillhart, une réalisatrice de réalité virtuelle du Creative Lab de Google.
Ouvrir le champ de vision du spectateur à 360° oui, mais un autre défi réside dans le fait de ne pas perdre son attention. Plusieurs méthodes existent pour y remédier, selon Brillhart.
“Il s’agit de mettre quelque chose de moins intéressant derrière eux, voire complètement insignifiant” afin de focaliser leur attention sur l’action principale de la scène, explique-t-elle.
Dans une des vidéos d’un concert de Paul McCartney, “Live and Die” tournée au stade Candlestick Park football à San Francisco, filmée à l’aide d’une caméra Jaunt, un des tripodes utilisés pour le tournage est caché par le logo de la compagnie. La nouvelle caméra de Jaunt, « the Neo », permettra d’éliminer le fait d’avoir à dissimuler le tripode. La caméra 3D permet de choisir les plans provenant des caméras du dispositif et de les assembler après cette sélection.
Lumière et son pour la réalité virtuelle
La réalité virtuelle permet non seulement de reconstituer un espace visuel, mais également un espace sonore. Dans le film “La mission”, un film tourné en réalité virtuelle, le son de la scène varie en fonction de l’élément sur lequel se concentre le spectateur : lorsque le spectateur regarde en direction de la scène le son est clair et restitué parfaitement, mais lorsque son regard se tourne vers la fosse, le son provenant des haut-parleurs, se couvre légèrement du son en provenance de la foule. Cet effet n’est rendu possible qu’en utilisant plusieurs micros afin de créer un espace sonore.
Il s’agit encore d’un tournant majeur à côté duquel les cinéastes qui se lancent dans la RV ne pourront pas passer.
“Le son fait la moitié de l’expérience de réalité virtuelle explique Plumer, parce que cela peut perturber les gens de regarder un décor de scène en réalité virtuelle, mais de n’entendre que le son de l’action principale.”
Montage pour les films en réalité virtuelle
La particularité de la réalité virtuelle est d’immerger l’utilisateur et ici le spectateur dans un cadre, à la fois visuel, sonore et parfois tactile. Les réalisateurs de films qui choisiront la réalité virtuelle devront en tenir compte afin de ne pas troubler le spectateur.
Alors que dans un film en 2D, il possible de faire des coupures sèches, dans la réalité virtuelle, le risque est de désorienter le spectateur :
« Vous pouvez faire un découpage, mais vous devez ménager des transitions » explique encore Cliff Plumer. « Mais cela va dépendre du contenu de la scène, il faut y faire très attention.”
Et le reportage dans tout ça ?
La réalité virtuelle pourrait-elle représenter un nouveau souffle pour le reporter d’images ? En tout cas, plusieurs professionnels de l’audiovisuel s’accordent sur le fait que le journalisme d’images en aurait besoin, à l’image de Christian Stephen, journaliste freelance photographe et vidéographe.
« Les gens n’ont plus peur, il faut maintenant se creuser la cervelle pour que les gens aient de nouveau peur en voyant les images des journaux télévisés. » et le journaliste d’ajouter, « en utilisant la réalité virtuelle, on permet aux gens de réellement entrer en connexion avec le sujet du reportage. »
Le journaliste a réalisé un reportage appelé « Welcome to Aleppo », produit par la société RYOT en format 360° qui peut être vu à partir d’un smartphone ou d’une tablette. La vidéo a été publiée sur YouTube. En inclinant la tablette ou le smartphone, le point de vue évolue et permet de faire apparaître les bâtiments et les rues à 360°.
« La réalité virtuelle est la technologie la plus excitante que nous avons trouvé. Elle permet aux spectateurs de se mettre à la place de quelqu’un d’autre, ainsi ils peuvent voir à travers ses yeux et faire l’expérience de l’ampleur de la destruction autour de ses gens. » Explique le producteur Bryn Mooser, qui est également cofondateur de la société de production RYOT.
De même que dans le cinéma, le passage à la réalité virtuelle dans le journalisme suppose un temps d’adaptation et l’acquisition de nouvelles règles par les reporters afin de s’approprier un nouveau langage et une nouvelle façon de raconter une histoire.
« Les règles n’ont pas encore été écrites, sur la manière de raconter une histoire en réalité virtuelle, mais cette technologie est maintenant aux mains d’artistes, de reporters de guerre et de réalisateurs de films » explique encore Bryan Mooser.
Malgré tout, le choix de réaliser un reportage visionnable à 360° comporte un danger pour le journaliste, tel que l’explique Christian Stephen :
“Les gens pensent que c’est drôle, cool et ce que j’essaie de faire passer c’est que c’est tout sauf cela, explique-t-il. C’est la peur et terreur au ventre que nous le faisons. De plus, il ne faut pas qu’il y ait un bruit. Ce n’est pas anodin. » Ajoute-t-il.
Les défis sont nombreux dans le cinéma et le journalisme pour s’approprier la réalité virtuelle. Mais c’est aussi peut-être par là que doit passer l’adoption par la masse de la réalité virtuelle.
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