Dans le cadre de notre série « Immersion totale : l’avenir du métavers », nous avons eu le plaisir d’échanger avec Julie Desmet Weaver. Artiste, auteure et réalisatrice, Julie façonne des univers où l’interaction et l’immersion redéfinissent la narration. Dans cet entretien passionnant, elle nous partage sa vision de l’impact du métavers sur la création artistique et l’expérience sensible, tout en questionnant la manière dont ces nouveaux territoires façonnent notre imaginaire.
Pouvez-vous décrire brièvement ce qu’est le Métavers et comment il diffère des autres concepts similaires tels que la réalité virtuelle ou la réalité augmentée ?
Le métavers est un espace virtuel persistant, un archipel de plusieurs mondes parallèles en constante évolution, ouverts à la co-création. Le métavers ne se contente pas d’exister : il évolue avec celles et ceux qui l’habitent. Contrairement à la réalité augmentée, qui superpose des éléments numériques à notre environnement physique, ou à la réalité virtuelle, qui plonge l’utilisateur dans un univers immersif souvent délimité par un scénario ou une expérience finie, le métavers est un écosystème ouvert et interconnecté. Il offre un territoire à explorer, ensemble.
Quels sont les cas d’utilisation les plus courants du Métavers dans différents domaines tels que le divertissement, l’éducation, le commerce électronique, etc. ?
Le métavers est un terrain d’expérimentation, un lieu où différents espaces virtuels se croisent et s’inventent. Chaque secteur expérimente de nouvelles façons d’habiter ces mondes. Ce qui m’interpelle particulièrement, c’est l’appropriation de ces espaces par les adolescents. Ils ne s’y retrouvent pas seulement pour jouer, mais aussi pour vivre des expériences collectives et créer de nouvelles formes d’interactions. Ce sont des territoires où ils inventent des langages, des codes sociaux, des récits partagés. Ils se mettent véritablement en scène dans ces mondes, les critiquent, les détournent. Se réjouissent de l’acquisition d’un nouvel avatar, d’un nouvel item ou parfois même d’une nouvelle façon de bouger. Un pseudo devient une identité à présenter sur différentes plateformes, une manière de se raconter et de tisser du lien. Ces rendez-vous en ligne prolongent leurs relations bien au-delà du temps de la rencontre physique. Dans l’industrie culturelle, les formats artistiques se réinventent pour les univers virtuels. L’œuvre devient un espace à habiter, où le spectateur est acteur d’un récit mouvant. C’est précisément cette interrogation qui m’anime : comment créer dans ces espaces mouvants ? Et raconter des histoires qui ne se limitent plus à une seule ligne narrative, mais se déploient dans un monde en perpétuelle transformation ?
Comment le Métavers peut-il remodeler les interactions sociales et la collaboration en ligne ?
Ce qui m’intéresse, c’est la manière dont ces interactions numériques façonnent une nouvelle grammaire sociale : une rencontre n’est plus simplement une présence dans un même lieu, mais une cohabitation d’identités fluides, évoluant dans un espace malléable, scénarisé, en perpétuelle transformation. Dans ces mondes, le langage corporel change, les codes sociaux se réinventent. On ne se regarde plus dans les yeux, mais à travers un avatar. On n’entend plus une voix résonner dans une pièce, mais on la perçoit spatialement dans un environnement sonore reconstitué. L’écriture de ces interactions devient un jeu subtil entre perception sensorielle et immersion technologique. Ces nouvelles formes d’interactions interrogent la notion de présence et de partage, et redéfinissent notre façon de raconter, de construire, de penser ensemble. En tant qu’auteure, je m’interroge. Ces mondes questionnent autant notre rapport au virtuel que notre propre perception de nous-mêmes : Comment trouve-t-on sa place dans un monde où le corps n’est plus physique, mais avatarisé ? Quel dialogue s’établit entre mon moi réel et mon double numérique ? Quelles expériences vient-on y chercher ? Quelles rencontres voulons-nous y faire ? Quelle empreinte y laisse-t-on ? Comment construire du sens et du sensible dans des univers immatériels, où la gravité et la matière n’existent plus, mais où émergent de nouvelles formes de présence et d’émotion ?
Quels sont les défis actuels auxquels est confronté le développement du Métavers, que ce soit sur le plan technologique, réglementaire ou éthique ?
Le métavers est encore un territoire en friche, une utopie en construction. Mais comme toute technologie émergente, il soulève des défis majeurs. Technologiquement, l’immersion parfaite reste un rêve. Les interfaces sont encore très limitées : les casques sont encombrants, les textures imparfaites, les mouvements contraints. L’expérience du corps dans le métavers est encore loin de l’incarnation fluide que promet l’idée d’un monde virtuel total. Sur le plan réglementaire et éthique, qui possède ces espaces ? Qui fixe les règles ? Un univers persistant sans frontières physiques remet en question les lois habituelles : propriété intellectuelle, protection des données, responsabilité … Comment garantir une éthique de la présence et éviter les dérives dans un espace où l’identité est malléable, multiple, parfois anonyme ? Le métavers est un immense terrain narratif, mais aussi un espace où se jouent des questions politiques et philosophiques profondes. Je vois là un défi passionnant, comment porter des récits qui ne soient pas seulement spectaculaires, mais qui interrogent aussi ces nouvelles règles du jeu ?
Comment les entreprises peuvent-elles exploiter le metaverse pour offrir des expériences uniques et créer de la valeur pour leurs clients ? Quelles sont les stratégies à adopter pour tirer parti du potentiel commercial du metaverse ?
Dans le domaine des industries culturelles, les systèmes de billetterie peuvent aisément être transposés dans ces espaces, ouvrant ainsi l’accès à des performances immersives, sans contrainte géographique. Mais au-delà de la simple transposition du réel vers le numérique, dans cet archipel d’univers virtuels, peuvent naître des récits inédits, des musiques, des danses qui se déploient dans des paysages nouveaux. Les visiteurs ne se contenteraient pas de regarder une œuvre : ils seraient invités à la traverser, à l’habiter, à l’expérimenter. Depuis plusieurs années, la France accompagne ces recherches sur les nouvelles écritures immersives et interactives, offrant aux auteurs des moyens d’explorer comment ces espaces peuvent interroger nos perceptions et notre rapport au monde. Ces créations ne sont sûrement pas “seulement” des divertissements : elles explorent, interrogent et ouvrent à une remise en question critique de nos réalités contemporaines. Le véritable enjeu n’est pas d’imiter le réel, mais d’inventer de nouvelles formes de présence et de récit.
On a parfois l’impression que le métavers n’a pas su convaincre le grand public. Y a t-il tout de même un avenir pour cette technologie ? Lequel ?
Le métavers est présenté comme un monde parallèle où tout serait possible. Or, la technologie et les usages évoluent plus lentement que l’imaginaire qu’on leur attribue. Peut-être que le métavers ne sera pas ce grand monde ouvert, mais une série d’espaces fragmentés, adaptés à des usages précis : création artistique, formation, exploration scientifique, interactions sociales spécifiques… L’avenir du métavers ne réside peut-être pas dans une révolution spectaculaire bouleversant notre quotidien, mais dans une évolution plus subtile, s’intégrant progressivement à nos pratiques. Un espace d’expression, plutôt qu’une illusion de réalité ?.
Quels conseils donneriez-vous aux entreprises ou aux individus qui souhaitent s’impliquer dans le métavers ou tirer parti de ses possibilités ?
Créer dans le métavers, c’est écrire pour un espace qui ne suit pas les lois du monde réel. Un auteur de théâtre pense la scène, un réalisateur de cinéma pense le cadre. Mais dans un univers immersif et interactif, la narration n’est plus linéaire : elle devient spatialisée, mouvante, participative. L’écriture s’adapte : le texte n’est plus un scénario fixe, mais un écosystème de possibles. Le visiteur-spectateur devient explorateur, il traverse des espaces où l’histoire ne se raconte plus seulement par les mots, mais aussi par l’environnement, les sons, l’interaction avec l’espace et les autres présences. C’est une révolution, car il faut penser nos histoires autrement.
Quelle place pour l’auteur dans un monde où les histoires deviennent des expériences à parcourir ?
Dans un univers où les récits ne se lisent plus seulement, mais se traversent, le rôle de l’auteur ne disparaît pas : il se métamorphose. Loin de se contenter de structurer une intrigue, il devient architecte de mondes, concepteur d’environnements où l’exploration n’est pas qu’un simple déplacement, mais une expérience porteuse de sens. Un espace vide, aussi impressionnant soit-il technologiquement, n’a pas de résonance sans intention narrative, sans profondeur artistique. Créer du sens, c’est offrir au visiteur un univers qui ne soit pas qu’une surface à explorer, mais un territoire de réflexion, un espace où chaque détail, chaque ambiance, chaque œuvre insérée dans le paysage, engage une conversation avec celui qui le traverse. L’intégration d’œuvres d’art, de références culturelles et d’éléments narratifs critiques dans ces espaces permet d’inscrire le métavers dans une interrogation plus large sur notre monde contemporain. Il ne s’agit pas de fuir la réalité, mais de la questionner sous une autre forme, en ouvrant des espaces où l’explorateur devient non seulement spectateur, mais acteur d’une réflexion en mouvement. Dans ces nouveaux récits immersifs, l’auteur n’impose plus une lecture unique, il tisse des chemins possibles, il sème des indices, il invite à ressentir et à interroger. Il ne raconte plus une histoire, il offre un cadre où le récit peut se révéler, se construire au fil du parcours de celui qui s’y engage. Des histoires qui ne se contentent plus d’être racontées, mais qui peuvent être traversées, vécues, incarnées.
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